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ArchivesL’intelligence artificielle, une possibilité et une réalité discutées depuis 50 ans

Un homme assis devant un ordinateur dans une salle informatique du Centre de calcul de l'Université de Montréal.

Depuis les années 1970, des émissions scientifiques à l'antenne de Radio-Canada telles que « Atome et galaxies » ont réfléchi à l'intelligence artificielle.

Photo : Radio-Canada / Jean-Pierre Karsenty

Radio-Canada

Jusqu’où peut aller l’intelligence artificielle? Menace-t-elle l’humanité? Des reportages tirés de nos archives nous montrent que des journalistes ont étudié ces questions en compagnie de scientifiques dès l’avènement de l’informatique.

À l’aube des années 1970, l’informatique est encore une jeune discipline. On se questionne sur l’intelligence des ordinateurs tout en se rassurant sur la supériorité de l’homme sur la machine.

Atome et galaxies, 10 mai 1969

Dans le cadre de la série Cerveaux électroniques et machines biologiques diffusée à l’émission Atome et galaxies du 10 mai 1969, l’animateur Raymond Charette se rend en Europe pour interroger quelques spécialistes du domaine.

La question de l’intelligence des ordinateurs est un non-sens, croit Gérard Dréan, d'IBM-France. L'homme peut transmettre une partie de son intelligence à la machine et lui faire imiter certaines caractéristiques de son cerveau, mais cela reste limité à des opérations logiques.

L’informaticien René Moreau relève deux caractéristiques qui font en sorte que l’ordinateur ne peut reproduire le cerveau humain et atteindre son intelligence. L’ordinateur ne doute pas, il fait rigoureusement ce que l’homme lui dit de faire et il n’a pas de sentiments.

Contrairement aux ordinateurs, nous ne pensons pas de façon très logique, renchérit le Dr W. Grey Walter, du Burden Neurological Institute, en Angleterre. Le cerveau humain peut faire des comparaisons spéculatives, comme par exemple imaginer des constellations dans les étoiles, expose-t-il.

On pourra, si on le désire, mettre au point des ordinateurs capables de battre aux échecs les meilleurs humains, prédit Christopher Evans, mais ils ne pourront peut-être pas faire autre chose. Ils ne pourront pas aimer de jolies filles, par exemple, ou imiter tous les autres aspects du comportement humain.

Le professeur au département d’informatique du National Physical Laboratory croit qu’il serait envisageable d’intégrer à l’ordinateur la possibilité d’éprouver des émotions, mais se demande quel en serait l’intérêt. L'émotion s'exprime par la crainte, l'amour ou la haine. D’une façon générale, je ne peux pas concevoir qu’on puisse réellement désirer que les ordinateurs acquièrent ce genre de faculté.

Pourquoi s’embarrasser d’ordinateurs capables de conscience?

Une citation de Christopher Evans

L’ordinateur ne pourra jamais être pleinement autonome, croit Gérard Dréan, directeur des opérations techniques chez IBM-France. L’homme demeure le maître des entrées, des informations qu’il lui fournit ou non, du comportement de la machine qu’il programme étape par étape. Puis, s’il y a menace, il reste la possibilité de débrancher la machine!

Je ne vois pas du tout les robots dominer le monde. Je vois plutôt l'homme utiliser les robots pour se décharger de tout ce qui est fastidieux et de garder pour lui tout ce qui est le plus noble.

Une citation de Gérard Dréan

Je n’ai pu entrevoir qu’une façon pour les ordinateurs à en arriver à l'autonomie de mouvement et à la liberté d'action en plus de l'intelligence qui leur permettrait de supplanter le genre humain, déclare pour sa part l’éminent ingénieur américain Dean E. Woolridge. Ça serait que les humains les construisent délibérément de façon qu’ils soient capables de se reproduire et d’avoir la maîtrise de leur énergie.

Je ne vois pas du tout pourquoi les humains consentiraient à s'engager dans ce genre d'aventure.

Une citation de Dean E. Woolridge

Aux frontières du connu, 4 avril 1979

Dix ans plus tard, l’informatique a fait de grandes avancées et l’ordinateur peut davantage être comparé au cerveau humain dont il possède plusieurs facultés.

À l’émission Aux frontières du connu du 4 février 1979, le journaliste Paul-Émile Tremblay tente de définir ses limites en compagnie d’étudiants et d’experts.

Les ordinateurs ne remplacent les individus que dans des tâches qui sont mécanisables, croit Philippe Salzedo du Centre international de recherches en calcul électronique de l'Université de Paris.

Il ne faut pas s’imaginer que l’ordinateur pourra se substituer à l’homme dans des mécanismes de nature intellectuelle, de conception et de création.

Une citation de Philippe Salzedo

Parmi les facultés humaines que l’ordinateur peut posséder, il y a la mémoire – prodigieuse et beaucoup plus sûre chez l’ordinateur – ainsi qu’une capacité d’analyse qui lui permet de prendre des décisions.

Quant à savoir si l’ordinateur peut raisonner, Alain Colmerauer du Laboratoire d’intelligence artificielle de l’Université d’Aix-Marseille nous donne un aperçu de ses recherches qui tentent d’établir un dialogue entre l’homme et la machine.

Il est difficile d’imaginer que, dans un avenir très proche, on puisse parler de n’importe quoi à une machine et que cette machine puisse répondre. Le futur robot d’Asimov est encore extrêmement loin.

Une citation de Alain Colmerauer

Malgré de grands progrès, l’ordinateur demeure limité au niveau de son étude des langues et de sa capacité à raisonner. L’humain fait appel dans un raisonnement à une telle quantité d’informations, souligne Alain Colmerauer. C'est absolument incroyable!

Les étudiants interrogés par le journaliste Paul-Émile Tremblay ne croient pas que les ordinateurs puissent réellement devenir intelligents.

L’intelligence de l’ordinateur ne pourra jamais être complète, soutient d’abord Jean, car elle est caractérisée par plusieurs éléments. Le cerveau humain possède plusieurs sens qui savent exploiter la mémoire, mais aussi la parole, la vue, les émotions, l’instinct, renchérit son collègue Stanislas.

L’informatique, c’est une technique, une technologie. Elle sera bonne ou mauvaise suivant ce que les hommes feront et les précautions qu'ils prendront ou qu’ils ne prendront pas, prévient Philippe Salzedo.

J’espère que nous ne déléguerons jamais aux ordinateurs des décisions qui reviennent aux humains, déclarait pour sa part Christopher Evans en 1969. Ça voudrait dire renoncer à ce qui est l’apanage des êtres humains.

Dossier, 21 janvier 1996

Que faire de ces milliards d'informations? Comment les comprendre, les utiliser? Aucun cerveau humain ne peut le faire.

Une citation de Le journaliste Alain Borgognon

Dans les années 1990, on ne doute plus du potentiel de la machine, nous montre ce reportage intitulé Cyberespace, le monde de demain et diffusé à l’émission Dossier du 21 janvier 1996. L’ordinateur Deep Blue s’apprête d’ailleurs au cours de cette année à battre le champion Garry Kasparov aux échecs.

Le journaliste Alain Borgognon tente de bien peser la révolution qui est en cours. Il explique que l’intelligence artificielle pourrait nous permettre de mieux gérer la croissance exponentielle des informations qui nous entourent.

Avec l’intelligence artificielle, c’est comme si on greffait tous les ordinateurs du monde à un cerveau humain.

Une citation de Le journaliste Alain Borgognon

Khai Minh Pham cherche, avec sa jeune entreprise Neuroagent, à utiliser l’intelligence artificielle pour multiplier la puissance que possède une personne en lui donnant plus de liberté et de temps pour réfléchir, créer et innover.

Le problème n’est plus de savoir qui est le plus intelligent, croit le neurologue et informaticien, mais plutôt comment interagir avec cette entité nouvelle. Des questions éthiques risquent aussi de se poser lorsque nous ne pourrons plus distinguer les comportements de l’homme de ceux de la machine.

Je pense que plus on travaillera avec les ordinateurs dans le cadre de l’IA, plus on comprendra la richesse de l’homme, exprime Khai Minh Pham, optimiste. On positionnera l’homme à sa juste valeur par rapport à toutes les dimensions qu’il peut générer.

On vit une mutation aujourd’hui qui est un peu comparable à celle du Néolithique, croit pour sa part le philosophe Pierre Lévy, qui voit dans l’avènement de l’IA un bouleversement énorme.

Bien que la base de l’intelligence artificielle soit saine, il faut repenser notre rôle dans les différentes sphères de la société, suggère Philippe Queau, de l’Institut national de l’audiovisuel en France.

Une réflexion qui n’a pas été entreprise par les technocrates et inconditionnels de l’ordinateur, dénonce Paul M. Kennedy, du Département de sécurité internationale de l'Université Yale.

À court terme, on peut prévoir une amélioration de la qualité de vie pour ceux qui ont accès à un ordinateur, expose l’historien. Un fossé risque toutefois de se creuser entre les riches et les pauvres, en plus de l’isolement social que pourraient générer ces nouvelles technologies.

Notre extrait du reportage de l’émission Dossier laisse le mot de la fin à Herbert A. Simon, Prix Nobel d’économie, considéré comme l’un des pionniers de l’intelligence artificielle.

La seule question que peut se poser un scientifique est de savoir si en fin de compte, dans l'ensemble, il est préférable pour l'espèce humaine d'en savoir plus ou d'arrêter toute recherche.

Une citation de Herbert A. Simon

Découverte, 3 septembre 2017

À l’émission Découverte du 3 septembre 2017, Danny Lemieux et Jeannita Richard recueillent les réflexions de Yoshua Bengio, Yann LeCun et Geoffrey Hinton, tous trois investis dans le domaine de l’apprentissage profond.

Les trois spécialistes s’expriment sur des enjeux tels que le marché du travail, l’expertise et les valeurs humaines à préserver ainsi que les dérives possibles de l’IA.

Le mariage entre la robotique et l'intelligence artificielle pose-t-il une menace sur l'emploi? Si l’intelligence artificielle peut être utilisée dans beaucoup de domaines, Yoshua Bengio évalue que ce sont généralement les emplois les moins bien payés qui en souffriront le plus.

Le directeur de l’Institut des algorithmes d'apprentissage de l’Université de Montréal croit que la société hésitera à déléguer à l’IA des fonctions qui requièrent de l'humanité, comme prendre soin d’enfants ou de personnes âgées.

Les gens ne changent pas aussi vite que la technologie autour d'eux, admet Yann LeCun, directeur du Laboratoire de recherche en intelligence artificielle de Facebook. Il suggère cependant que certains éléments comme l’authenticité de la communication ne peuvent être remplacés par l'intelligence artificielle.

Un concert de jazz en direct, donne-t-il en exemple, passe par la communication d’une émotion. Quel est l’intérêt d’assister à une telle manifestation si elle n’est pas guidée par la spontanéité et l’improvisation d’un musicien en chair et en os?

En ce qui concerne les valeurs universelles, Yann LeCun se voit d’ailleurs rassuré par le fait que ce soient des humains qui programment les ordinateurs.

On peut construire ces machines pour qu'elles n'aient pas d'ambition, pour qu’elles n’aient pas d’instinct de survie, pour qu’elles n’aient pas l'envie de devenir violentes si elles se sentent menacées, pour qu’elles ne se sentent pas déçues si on veut les éteindre, énumère-t-il.

L’intelligence artificielle devenue mal intentionnée a maintes fois été exploitée dans la science-fiction, mais il s’agit là d’une projection des qualités et défauts de l’intelligence humaine, selon les spécialistes interviewés.

On a du mal à imaginer une intelligence qui ne soit pas humaine, mais en fait l’intelligence des ordinateurs sera très différente de l’intelligence humaine dans leurs motivations.

Une citation de Yann LeCun

Selon Yoshua Bengio, beaucoup des craintes que nous avons ne sont pas justifiées, ce qui ne veut pas dire que nous ne devons pas rester aux aguets.

Il faut notamment être vigilant quant à l’utilisation de l’IA afin de manipuler les gens qui pourraient prendre forme au fur à mesure que l’ordinateur gagne en intelligence et acquiert de l’information sur nous, soutient-il.

On n’arrête pas le développement technologique. Il va se poursuivre, coûte que coûte, déclare le chercheur et professeur au Département d’informatique de l'Université de Toronto Geoffrey Hinton. Il faut qu’il soit encadré par les gouvernements qui, eux, doivent veiller au bien-être de tous.

Une idée partagée par Yann LeCun qui fait un parallèle avec les recherches en biotechnologie qu’on a réglementées à l'échelle internationale à partir des années 1970 afin d’éviter la manipulation du génome humain et autres dérapages.

C’est quelque chose à quoi il faut réfléchir, il ne faut pas jouer avec le feu. Il faut réfléchir avant que le problème ne se pose de façon urgente.

Une citation de Yann LeCun

Le 29 mars 2023, Yoshua Bengio et des milliers de personnalités du monde des technologies demandaient dans une lettre ouverte de suspendre temporairement le développement de certains systèmes avancés de l'IA.

Un moratoire souhaité afin de bien examiner les risques que posent les systèmes de robots conversationnels tels que ChatGPT pour la société et l’humanité et d’élaborer des protocoles de sécurité.

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