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L’Afrique sur la ligne de front pour exiger la réduction de la production de plastique

Un canal bouché par des contenants de polystyrène et de plastique à usage unique sous un pont.

Un canal bouché par des contenants de polystyrène et de plastique à usage unique à Obalende, à Lagos, au Nigeria.

Photo : afp via getty images / BENSON IBEABUCHI

Alors que s'entame la dernière ligne droite d'une séance de négociations sur la pollution plastique à Ottawa, les États n'en démordent pas sur la question de la production. Face à un regroupement d'États – dont les pays du Golfe, farouchement contre l'instauration d'un plafond sur la production de plastique –, de nombreux pays d'Afrique militent pour l'adoption d'un traité ambitieux.

Depuis près d'une semaine, les délégués de 176 pays ont repris là où ils s'étaient laissés, fin novembre, à Nairobi, lors du troisième tour de négociations en vue de l'adoption d'un accord international juridiquement contraignant sur le plastique.

Si les appels à une réduction de la production de plastique ont été nombreux depuis le début des pourparlers, plusieurs pays sont réticents, voire opposés, à toute discussion sur cette question.

Face aux représentants de l'Arabie saoudite, de l'Iran, de la Chine et de la Russie, qui jugent prioritaire de se concentrer sur la conception des produits et sur l'amélioration du recyclage, une coalition de près de 65 pays exigent plutôt un haut niveau d'ambition.

Ces États s'entendent pour dire que la production et la consommation de plastique, qui ont atteint des niveaux insoutenables, doivent être limitées.

Des représentants africains assis dans une grande salle de conférence.

Des délégués assistent à une plénière au dernier jour des négociations organisées à Nairobi, au Kenya, en novembre 2023.

Photo : afp via getty images / TONY KARUMBA

L'ennemi plastique

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Des matériaux plastiques recyclables  dans une décharge.

Parmi ceux-ci, on retrouve près d'une quinzaine de pays africains. Le Rwanda, l'un des premiers pays du globe à avoir banni les bouteilles et les sacs de plastique à usage unique, copréside cette coalition aux côtés de la Norvège.

Au cours des derniers jours, le Rwanda, jugé comme un leader en matière de lutte à la pollution plastique, a déposé une proposition avec le Pérou afin que le texte final du traité comprenne une cible phare, à l'instar des grands accords sur les changements climatiques et sur la biodiversité.

Nous n'avons pas de temps à perdre [...]. La grande majorité des États membres africains appuient une réduction de la production de plastique à des niveaux durables.

Une citation de Jeanne d'Arc Mujawamariy, ministre de l’Environnement du Rwanda, en plénière à l'INC-4, le 25 avril

Pour s'aligner avec la cible de l'Accord de Paris de limiter le réchauffement à 1,5 °C, indique la proposition, l'objectif devrait être de réduire, à compter de 2025, 40 % des polymères plastiques primaires d'ici 2040.

Ces polymères entrent dans la composition de l'essentiel des articles de plastique que l'on emploie au quotidien, et ils représentent la majeure partie de la production de plastique sur la planète.

Petite production, grands impacts

L'Afrique n'est pas un grand producteur de plastique. Pourtant, nous sommes fortement affectés par toute cette pollution, fait remarquer Hellen Kahaso Dena, responsable du Pan-African Plastics Project à Greenpeace Africa.

Les 54 nations africaines ne produisent que 5 % du plastique sur la planète et n'en consomment que 4 %. Mais la forte croissance démographique et le développement urbain ont entraîné une hausse des plastiques à usage unique sur le continent.

Nous composons aussi avec le fardeau du colonialisme. Des pays occidentaux ont eu tendance à décharger leurs déchets dans différentes parties de l'Afrique, souligne Hellen Kahaso Dena. Et ce, en dépit du fait que la majeure partie des pays du continent n'ont ni les moyens ni les réseaux adéquats pour gérer les déchets.

Déjà, le taux de recyclage dans le monde est très bas, moins de 10 %. En Afrique, nous n'avons même pas les infrastructures pour faire ça.

Une citation de Hellen Kahaso Dena, responsable du Pan-African Plastics Project

Jetés dans l'environnement ou incinérés à l'air libre, les déchets représentent une menace pour la santé des communautés africaines, soit en contribuant à la reproduction de moustiques porteurs de maladie ou en libérant des polluants nocifs susceptibles de causer des problèmes respiratoires.

L'élimination inconsidérée du plastique risque de réduire la porosité du sol au point de rompre le cycle de régénération des ressources en eau et de réduire la qualité des terres agricoles, note de son côté l'Organisation mondiale de la santé.

Hellen Kahaso Dena lors des négociations du traité sur le plastique, à Ottawa.

Hellen Kahaso Dena est responsable du Pan-African Plastics Project pour Greenpeace Afrique.

Photo : Radio-Canada / Valérie Boisclair

L'abandon de déchets plastiques dans l'environnement peut en outre mettre en danger les habitants à proximité de cours d'eau. En ce moment, chez moi au Kenya, nous avons eu de fortes pluies et d'importantes inondations, explique Mme Dena. Et ce que nous constatons, c'est que le plastique s'accumule dans les rivières et empêche l'eau de s'écouler.

Dans les localités moins nanties et dans les régions densément peuplées, qui sont plus à risque de subir des inondations aggravées par la problématique du plastique, poursuit-elle, l'obstruction des systèmes de drainage peut être dévastatrice.

Des restrictions partout sur le continent

Pour contrer les effets néfastes de la pollution plastique, de nombreux pays d'Afrique ont adopté des lois afin d'en bannir ou d'en restreindre l'usage.

Après avoir interdit la fabrication, l'utilisation, la vente et l'importation de sacs en plastique en 2008, le Rwanda est devenu en 2019 le premier pays du continent africain à imposer une interdiction totale des plastiques à usage unique.

Tandis que des États interdisent les plastiques non biodégradables, d'autres s'attaquent aux plastiques minces, qui entrent notamment dans la composition des sacs d'épicerie. C'est le cas de Madagascar, où les sacs en plastique de moins de 0,05 millimètre d'épaisseur sont interdits depuis 2015.

D'autres pays, comme l'Afrique du Sud et Eswatini, imposent plutôt une taxe à l'achat.

Selon les ressortissants africains rencontrés par Radio-Canada à Ottawa, le plus grand défi demeure toutefois de veiller au respect de ces réglementations. La différence des lois en vigueur d'un pays à l'autre et l'absence de mécanismes efficaces de surveillance ont compromis leur mise en œuvre.

Bien que ce ne soient pas la totalité des pays africains qui plaident pour une réduction de la production, la majorité des États ont réussi à faire front commun, au cours des négociations, pour qu'une mention en ce sens se taille une place dans le texte final, selon Hellen Kahaso Dena.

Pour les États insulaires, les lois adoptées par les gouvernements pour stopper la pollution plastique n'ont qu'une portée limitée, d'où la nécessité d'un traité international contraignant.

Nous importons 90 % de nos produits, et ils arrivent au pays dans des emballages plastiques, explique Rajendra Kumar Foolmaun, qui travaille pour le ministère de l'Environnement de l'île Maurice.

Les déchets plastiques venus d'ailleurs, portés par les courants marins jusqu'aux rives de l'île Maurice, ont en outre contribué à la présence de microplastiques sur les plages et dans le lagon, ajoute-t-il. C'est pourquoi nous jugeons que la solution doit être globale.

Pour un traité ambitieux et clair

Le Malawi, membre de la coalition en faveur d'une haute ambition afin de mettre fin à la pollution plastique, compte sur l'adoption d'un texte clair pour l'aider à interdire pour de bon les sacs en plastique.

Après avoir banni les plastiques minces en 2015, le gouvernement s'est heurté à une décision de la Haute Cour, qui a rapidement invalidé son règlement, contesté par une quinzaine de fabricants de plastique.

Réinstaurée en 2019, la loi a depuis été retardée par les nombreuses injonctions de l'industrie.

Les environnementalistes du Malawi espèrent donc que le traité s'attaquera avec force et clarté aux plastiques jugés problématiques et non essentiels par la communauté scientifique, indique la Dre Tiwonge Mzumara-Gawa, écologiste et maître de conférence à l'Université des sciences et technologies du Malawi.

Les entreprises qui produisent ces plastiques minces exercent une grande influence, c'est pourquoi nous comptons [sur le traité] pour mettre fin à l'impasse.

Une citation de Dre Tiwonge Mzumara-Gawa, écologiste

La Dre Mzumara-Gawa espère que les États, qui se réuniront à Busan, en Corée du Sud, en novembre, pour la cinquième et ultime séance de négociations avant l'adoption du traité, s'entendront pour réduire les niveaux de production et améliorer la gestion des déchets plastiques.

Il est impératif de s'attaquer à l'héritage du plastique déjà présent dans l'environnement et au plastique que l'on continue de produire, résume-t-elle.

Nous ne pouvons pas parler de ce traité s'il n'est pas question de réduire la production, tranche-t-elle. Parce que même si nous agissons sur d'autres fronts, au final, nous continuerons de subir les impacts de la pollution plastique.

Avec la collaboration d'Étienne Leblanc.

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