Jennifer Ocquidant n’a pas tout de suite su mettre des mots sur ce mal dont elle a souffert.
Il y a quelques années, cette traductrice torontoise décide de se lancer à son compte. Elle constate alors que ses liens sociaux se dégradent, que son réseau rétrécit. Je travaillais de la maison, derrière un écran. Je n’avais pas vraiment de relations en face à face avec les clients.
Ne plus faire partie d’une équipe, ne plus aller au travail, etc. Au fur et à mesure, j’ai senti un manque. Et ça a beaucoup affecté ma santé mentale
, confie-t-elle. À cela s’ajoutent une rupture amoureuse, et une pandémie qui ne fait qu’accentuer l’isolement.
Jennifer est consciente qu’il lui faut faire un premier pas pour briser le cercle de la solitude
. Elle finit par se mettre à la recherche d’un espace de cotravail, un prétexte pour sortir de chez elle. C’est là qu’elle se retrouve, par hasard, à pousser la porte du centre Reset, dans la Petite Jamaïque.
Boulangerie, salon de manucure, station-service, restaurants... À première vue, Reset se fond dans le paysage des petits commerces de quartier.
À l’intérieur, derrière la devanture colorée, Jennifer Ocquidant a plutôt l’impression de pénétrer dans un vaste salon. Il y a des divans, des tables, un réfrigérateur et des plantes. Mais aussi une étagère de jeux de société, une machine à maïs soufflé, un espace zen au sous-sol avec hamac et coussins. Des peintures sur les murs et au plancher.
Dans un coin, une grande affiche : Toronto for Everyone. Toronto pour tous
.
Reset, un organisme à but non lucratif, se présente comme un antidote à notre époque de solitude, de déconnexion et de division.
Sa mission : améliorer la santé sociale de la population.
Cela fait référence à l'aspect de notre bien-être qui découle de la connexion et de la communauté
, explique le directeur général Adil Dhalla-Kim.
« Nous connaissons la santé physique, liée au corps, et la santé mentale, liée à l’esprit. La santé sociale est liée à nos relations. »
Ce salon communautaire
a été inauguré il y a deux ans. Comme Jennifer, les gens qui le fréquentent viennent s'y installer pour travailler, mais aussi pour rencontrer de nouvelles personnes.
Chaque jour à 15 h, c’est le recess
, la récréation : une période de 30 minutes où l’on pose ordinateurs et blocs-notes. Les gens jouent aux dominos ou à d’autres jeux, ils dansent, prennent un thé, vont marcher à l’extérieur
, détaille Adil Dhalla-Kim. C’est l’occasion de tisser des liens sans cadre défini, dans le respect des limites de chacun, affirme le directeur – que l’on soit de nature extravertie ou introvertie.
Les membres de Reset se retrouvent aussi à divers moments de la semaine pour des activités : méditation, poésie, séances de sauna, cercles de parole, et même des ateliers qui abordent de front le thème de la solitude. On peut se sentir seul au milieu d'un groupe de personnes et c'est déroutant. Comment alors construire et entretenir des liens de qualité?
Les participants échangent sur ces questions.
J'ai gagné une dizaine d'amis au moins, rien qu'en l'espace d'une année
, mentionne aujourd’hui Jennifer Ocquidant. Des relations qu’elle dit approfondies et authentiques
, au-delà du sourire et de la courtoisie
. Un véritable déclic.