Secrets de scénariste : Marie-Andrée Labbé
En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel.
Même si une grande partie des personnes passionnées de télé sont familières avec le format, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de série télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce travail hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de personnes le pratiquant.
Afin d’amorcer cette série de billets en grand, nous avons discuté avec Marie-Andrée Labbé, autrice et scénariste de la comédie dramatique Trop ainsi que de Sans rendez-vous, une série à venir sur ICI Tou.tv Extra et ICI Télé.
Voici ce qu’elle avait à nous dire.
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Comment une idée de série te vient-elle en tête? Est-ce un processus conscient et réfléchi ou plutôt aléatoire?
Pour les idées générales, ça se passe souvent dans la douche, quand je me brosse les dents ou quand je cours. Pour les séries comme telles, ça varie d’une fois à l’autre : il arrive qu’une idée vienne de nous, mais aussi de gens de la production, qui, ensuite, approchent des scénaristes pour la leur confier. Dans le cas de Trop, les membres de la production ont provoqué la rencontre pour me demander si j’avais quelque chose à leur proposer, et j’ai répondu oui, ce qui n’était pas tout à fait vrai. (Rires) J’avais des choses en tête, et évidemment, je voulais faire une comédie dramatique, c’était clair. Je voulais écrire une histoire qui abordait la relation entre deux sœurs et parler de maladie mentale. Après, il a fallu construire le reste et les installer dans un contexte.
Quand tu te fais demander par une personne de la production si tu as un projet et que tu es scénariste – ou que tu veux le devenir –, tu es mieux de mentir un peu et de te débrouiller après en passant quelques nuits blanches pour pondre un truc qui se peut. (Rires)
Ça donne confiance quand tu te fais approcher pour te faire demander si tu as un projet à développer. Ça donne la motivation nécessaire pour sortir l’idée et la rédiger comme il se doit. Après, bien sûr, une fois qu’elle est soumise et acceptée, il faut savoir livrer; il ne s’agit pas seulement d’avoir une bonne idée. Si tu ne la livres pas, elle meurt. Le gros du défi, ce n’est pas que quelqu’un de la production aime ton idée, c’est de la mettre sur papier et qu’elle réponde aux attentes que tu avais installées.
Dans le cas de Sans rendez-vous, c’est Fabienne Larouche qui m’a contactée parce qu’elle et ses collègues avaient vu une série web australienne qui s’appelait Sexy Herpes dans un genre de festival de télé rassemblant plusieurs boîtes de production. Ils avaient aimé le concept et acheté les droits parce qu’ils pensaient que ça pouvait facilement se décliner en série télé qui serait appréciée au Québec. Ils m’ont ensuite approchée pour l’écrire. Je peux donc te confirmer que l’idée ne m’est pas venue dans la douche. (Rires) Je suis partie de là et on a développé une série complètement différente de l’originale, parce que, premièrement, on est dans un format beaucoup plus long, et deuxièmement, on l’a adaptée à la réalité du Québec. Je n’ai donc pas fait une adaptation à proprement dit parce qu’on ne l’a pas convertie, on n’a pas traduit d’épisodes. On est en réécriture complète, ce qui est autre chose.
Quels sont les ingrédients essentiels pour créer une bonne série?
C’est sûr que ça prend un bon texte, sauf qu’un autre élément impossible à prévoir est essentiel : la magie. J’imagine que ça peut se sentir sur le plateau, mais quand ça se passe, c’est quelque chose de plus grand que nous. Quand ça lève, ça veut dire que les bonnes personnes sont aux bonnes places.
Il y a sûrement eu d’excellents textes qui n’ont pas donné le résultat escompté parce qu’il n’y avait pas eu la petite touche de magie qui fait que l’équipe est unie et sait où elle s’en va. Ça va au-delà du talent, et le timing y compte pour beaucoup.
Quand on prend l’exemple de la série Handmaid’s Tale, qui était sur les tablettes depuis quelques années avant que la production ne décide de la réaliser à ce moment précis, en même temps que l’arrivée de Trump à la présidence ainsi que la première vague de #MeToo… Ça fait lever le tout, mais tu ne peux pas le prévoir. Il faut se faire confiance et continuer à faire ses affaires chacun de son côté en essayant d’être le plus ouvert à ce qui nous entoure pour essayer de capter l’air du temps
. Travailler fort est un ingrédient clé, mais j’aime bien penser qu’il y a quelque chose de plus grand que nous qui met ça ensemble et qui fait que ça lève. Ça m’enlève de la pression de penser ça. (Rires)
Quand t’es-tu rendu compte que la magie était là dans Trop?
Il y a eu plusieurs moments, mais quand on a vu l’audition de Virginie [Fortin] avec Evelyne [Brochu] – elles interprètent les personnages des deux sœurs à l’avant-plan dans Trop –, j’ai commencé à mieux dormir. (Rires) Quand je les ai vues ensemble, je me suis dit : Ben là, ça ne relève plus de moi.
Je me disais qu’elles allaient sauver l’affaire là où j’avais failli. Quand t’es à froid dans une salle d’audition et que t’as une émotion, c’est pas à cause du texte, c’est parce qu’il y a eu une rencontre bien particulière. À partir de là, on peut bâtir et ça a perduré parce que sur le plateau de Trop, il y a eu cette magie.
Combien d’idées peuvent être mises à la poubelle avant qu’un projet voie le jour?
Dans mon cas, ça ne m’est jamais arrivé. (Rires) Bien sûr, j’ai été impliquée dans quelques projets qui sont tombés pour une multitude de raisons. Ce qu’il est important de savoir, c’est que ce n’est pas tout d’avoir le feu vert, il faut aussi réussir à garder l’intérêt pour du long terme, d’où l’importance d’avoir une idée solide qui n’est pas juste un flash
et qui peut être développée. Il faut avoir le souffle pour livrer ce qu’on avait promis.
Quelle série aurais-tu aimé avoir écrite?
Les séries que j’aurais aimé avoir écrites, je vais les écrire. (Rires) J’aurais aimé travailler sur Six Feet Under, mais j’étais très jeune à l’époque. Je n’aurais probablement pas été engagée dans le Writers’ Room [le groupe des scénaristes, en anglais]. (Rires) Je trouve que c’était une série avec un grand potentiel humain. L’équilibre de tous ces personnages est parfait encore aujourd’hui, selon moi.
D’une série à l’autre, est-ce important pour toi d’aborder différents thèmes?
Je suis de l’école de pensée qu’on écrit toujours la même affaire. (Rires) Dans le sens où on ne fait pas exprès, on pense qu’on parle d’autre chose, alors que ce n’est pas vraiment le cas.
Tout le monde a ses bibittes, ses blessures, ses affaires personnelles; ça finit par se recouper ici et là.
Je pense qu’on évolue. Les personnages de Trop, je les ai laissés à un endroit et présentement, je travaille avec des personnages différents. Évidemment, il y a des choses que je veux approfondir et que je n’ai pas pu dire dans l’autre série. Ce n’est pas volontaire, mais on se rend compte avec un peu de recul qu’il y a des sujets qu’on peut approfondir de plus en plus avec le temps. On choisit un autre univers, un autre personnage dans le but d’aborder des sujets qu’on n’a pas pu aborder dans une série antérieure.
Si on ne tient pas compte des cotes d’écoute, qu’est-ce qui t’amène à décider que ta série est terminée?
Dans le cas de Trop, je savais déjà pas mal à la base que j’allais écrire trois saisons à cause du cycle de la maladie d’Anaïs [elle est atteinte d’un trouble bipolaire]. Il y avait des limites à étirer la sauce. Je ne voulais pas avoir à la mettre constamment en crise pour garder l’intérêt du public, ce n’est pas respectueux pour les gens qui vivent avec cette maladie. Je savais qu’à un moment donné, il fallait la laisser aller parce que la vérité, c’est que ça ne se guérit pas vraiment. De plus, je ne souhaitais pas avoir à la placer dans des zones trop dramatiques, pour garder l’intérêt, ce qui aurait pu chambouler tout le reste. Il est arrivé par le passé que la production saute le requin
[quand la qualité du scénario, après avoir atteint son zénith, commence à se dégrader au point où les téléspectateurs décrochent massivement
,
selon cet article d’Hugo Dumas]. Je voulais évidemment éviter de faire cette erreur. Je savais qu’avec le cycle de trois saisons, ça me permettait de mettre en scène un début, un milieu et une fin. Ça allait de soi dans cette histoire-là.
Maintenant, j’écris autrement la série sur laquelle je travaille en ce moment parce qu’elle pourrait durer plus longtemps. Il faut savoir déterminer les défis, comment gérer tout ça; je suis là-dedans. Évidemment, on n’a pas tourné encore, alors il se pourrait que j’en écrive seulement une ou deux saisons, mais l’objectif est d’en écrire plus. On est dans un format différent, dans une clinique de santé sexuelle où certains cas peuvent arriver, alors il y a du stock en masse à travailler. On peut aborder plusieurs sujets, entrer dans la vie personnelle de toutes sortes de patients en cours de route. C’est un format qui se prête bien à faire plus qu’une, deux ou même trois saisons parce que les personnages évoluent dans leur trame personnelle, mais à l’intérieur même de la clinique, il y a du potentiel pour plus. C’est une autre façon d’aborder la comédie, un autre format.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans l’écriture d’une série?
Je dirais que c’est le fait qu’il n’y a jamais de bonne réponse. Dans un milieu où il y a de la création, une fois que tu as envoyé le courriel contenant l’épisode que tu as tout juste écrit, il n’y aura que des jugements ou des commentaires subjectifs sur ton travail. Tu n’as pas d’assurance que la réaction du public sera positive parce qu’une personne de la production a aimé ton scénario. Il n’y a aucune certitude, jamais. Ça peut être assez épuisant. Sinon, il y a la discipline et le fait de devoir vivre avec une routine stricte, pour moi du moins.
Est-ce que tu aimes faire des clins d’œil aux fans de tes œuvres, comme mettre des éléments dans le décor, des trucs que les yeux de lynx vont remarquer, des dialogues qui peuvent être interprétés d’une façon ou d’une autre?
J’insère parfois des petits détails empruntés aux gens qui m’entourent dans mes textes. Par exemple, il y a des phrases répétées par des proches que je peux placer ici et là, mais ça sert le dialogue.
On vole un peu de la vie des gens de notre entourage en écrivant, alors ils s’y attendent un peu. (Rires) Des fois, j’utilise juste un terme précis qui ne changera absolument rien au scénario juste pour faire sourire une personne quand elle se reconnaîtra.
Je me rappelle d’avoir ajouté une réplique qui était de mon amie dans Trop parce qu’elle nous avait beaucoup fait rire lors d’un souper. Je l’avais écrite texto et je savais qu’elle allait lire le texte puisqu’elle jouait dedans. Ça fonctionnait bien avec la scène et je l’ai placée pour qu’elle se dise : Voyons donc, elle a mis ça dans la série!
Aimerais-tu faire une série dérivée avec un de tes personnages?
Je ne suis pas très série dérivée, mais il y a des personnages que je n’ai pas explorés assez profondément parce que le temps manquait. J’aurais aimé donner plus de place au personnage de Jean-François Provençal dans Trop. Il pourrait avoir une chaîne YouTube, on n’aurait que lui à observer dans son émancipation personnelle. Sinon, je crois que les personnages sont toujours vivants, mais tout simplement qu’on ne les voit plus. Je les laisse tranquilles. (Rires)
Marie-Andrée, merci beaucoup!
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Si vous n’avez toujours pas regardé la série Trop, vous pouvez le faire sur ICI Tou.tv Extra en suivant ce lien.
La série Sans rendez-vous sera prochainement offerte sur la plateforme avant d’être diffusée sur ICI Télé.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste!