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[Reportage] Jour de la Terre : progrès depuis l’accord historique de Montréal

En décembre 2022, Montréal a été le théâtre d'un événement historique. Des délégués de plus de 190 pays ont signé un accord sur la biodiversité lors de la 15e Conférence des parties (COP15), s'engageant non seulement à protéger la biodiversité, mais aussi à reconnaître les droits de la nature et de la Terre mère. Depuis, quels progrès concrets ont été réalisés?

Maisons sur la rive de la rivière Marañón au Pérou.

En mars, les droits de la rivière Marañón ont été reconnus par une décision historique au Pérou.

Photo : Gracieuseté · Cortesía / Patricia Urteaga

Une femme regarde la caméra et sourit légèrement.
Paloma Martínez Méndez

Avec la signature du Cadre mondial pour la biodiversité de Kunning-Montréal, les pays se sont engagés à ralentir et à inverser la perte de biodiversité d'ici à 2030, à protéger 30 % des écosystèmes de la planète, à lutter contre la déforestation et à promouvoir l'agriculture et la pêche durables.

L'accord est allé encore plus loin en reconnaissant les droits intrinsèques de la nature et de la Terre mère, ce qui signifie cesser de considérer les éléments naturels uniquement comme des ressources exploitables, pour les reconnaître comme des entités vivantes avec des droits inhérents à exister, à prospérer et à évoluer.

Les militants environnementaux et des leaders autochtones ont salué l'inclusion des droits de la nature, soulignant l'importance des connaissances et de la gestion autochtones dans les efforts de conservation.

Concrètement, qu'est-ce qui a changé depuis que les rivières, les animaux et les montagnes ont été reconnus comme des ayants droit?

Elle sourit devant l'entrée de l'ONU à New York.

Yenny Vega Cárdenas est une avocate canado-colombienne spécialisée dans les droits de la nature.

Photo : Radio-Canada / Paloma Martínez Méndez

Yenny Vega Cárdenas estime que beaucoup a été accompli depuis cet accord historique. Entre autres choses, il sert déjà d'argument juridique pour protéger les rivières et les écosystèmes, a déclaré la présidente de l'Observatoire international des droits de la nature dans une interview avec RCI.

Au Pérou, la rivière Marañón a reçu une protection légale comme sujet de droit. Dans la plainte, il a été cité que les droits de la nature font partie du Cadre mondial de la biodiversité signé à Montréal. Des actions en justice ont également été engagées pour protéger le lac Titicaca, partagé par la Bolivie et le Pérou, et elles se basent sur cette Convention sur la diversité biologique, qui reconnaît les droits de la nature.
Une citation de Yenny Vega Cardenas, présidente de l'Observatoire international des droits de la nature

Pour cette avocate canadienne d'origine colombienne, spécialiste des droits de la nature, ces deux affaires judiciaires montrent à quel point l'argument de la Terre nourricière en tant que sujet de droit est essentiel.

Et s'il n'est pas reconnu partout dans la pratique, des changements commencent à apparaître un peu partout dans le monde. Et le Canada ne fait pas exception.

Cette carte identifie les entités naturelles (rivières, parcs, sites, etc.) reconnues comme sujets de droits dans le monde :

Au Canada, la volonté politique fait défaut

En tant qu'hôte de la COP15 en 2022, la délégation canadienne a signé la déclaration finale et, par conséquent, le Cadre mondial pour la biodiversité de Montréal. Néanmoins, selon Yenny Vega Cárdenas, la situation au Canada est très différente de celle de l'Amérique latine, car ici, il y a toujours une réticence à reconnaître les droits de la nature.

Le Canada a signé le cadre pour la biodiversité et devrait donc le respecter, mais la volonté politique fait défaut. Mais je pense que petit à petit, de plus en plus de gens, notamment les communautés autochtones, apprennent et prennent conscience de l'importance des droits de la nature et veulent de plus en plus les invoquer pour protéger leurs territoires.
Une citation de Yenny Vega Cárdenas, présidente de l'Observatoire international des droits de la nature

Et c'est ce qui s'est passé. Dès la signature de la Convention de Montréal, l'Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) a reconnu la personnalité juridique du fleuve Saint-Laurent, dans un geste inhabituel et unanime.

Au Québec également, la rivière Magpie s'est vue accorder le même statut de personnalité juridique, ce qui lui permet de se défendre.

Un bassin hydrologique défend son eau contre une mine

Delta formé de la rencontre de la rivière de la Paix, de la rivière des Esclaves et de la rivière Athabasca, photographié à partir d'un avion.

Delta des rivières de la Paix et Athabasca

Photo : Radio-Canada / Geneviève Normand

En Alberta, une déclaration de préoccupation a été soumise en mars à l'Agence de réglementation de l'énergie de la province pour demander que le bassin versant de la rivière Athabasca soit reconnu en tant qu'entité juridique.

Préparée par les organisations Keepers of the Water, Alberta Wilderness Association et Ecojustice et soutenue par la Chipewyan Prairie First Nation, la déclaration du bassin de la rivière Athabasca invite le régulateur de l'énergie de l'Alberta à accepter ses préoccupations concernant la demande de renouvellement d'un contrat d'utilisation de l'eau par la compagnie pétrolière et de gaz naturel Canadian Natural Upgrading Ltd. (CNUL).

L'entreprise a besoin de ces permis pour exploiter la mine Jackpine, une mine de sables bitumineux à ciel ouvert située à 70 km au nord de Fort McMurray.

La mine se trouve sur la rive est de la rivière Athabasca et extrait, selon la déclaration du bassin versant, une moyenne de 50 millions de litres d'eau chaque jour. Le renouvellement de l'autorisation permettrait à la mine de poursuivre ses activités pendant 10 années supplémentaires.

La Canadian Natural Upgrading Ltd estime que sa stratégie de gestion de l'eau est efficace et efficiente tout en protégeant les sources d'eau, notamment en réduisant l'utilisation d'eau douce en maximisant le recyclage de l'eau produite et l'utilisation de l'eau saline.

Selon ses propres évaluations, la CNUL affirme qu'entre 2017 et 2022, l'utilisation de l'eau douce a été réduite de 66 % dans l'ensemble de ses opérations.

L'identité, l'histoire, la culture et l'économie passent par les eaux d'une rivière

Une pancarte indiquant la rivière Gatineau.

Pour les instigateurs de l'idée de donner une personnalité juridique à la rivière Gatineau, celle-ci représente un cours d'eau d'importance culturelle et historique pour le peuple anishinaabe.

Photo : Radio-Canada / Dan Taekema

Au Québec, une coalition de citoyens a lancé récemment une déclaration reconnaissant les droits de la rivière Tenàgàdino Zìbì/Gatineau.

Cofondée par Gilbert Whiteduck, ancien chef de la communauté autochtone de Kitigan Zibi, et par Rita Jain, directrice du groupe Amis de la rivière Gatineau et conseillère municipale de Chelsea, l'Alliance Tenàgàdino vise à créer un mouvement populaire afin de reconnaître la rivière comme une personne morale.

À cette fin, l'Alliance demande aux riverains de ce cours d'eau, qui s'étend sur 443 kilomètres du nord au sud de la province, et au grand public, de signer la déclaration reconnaissant les droits de la rivière.

La rivière Tenàgàdino Zìbì/Gatineau a sa propre voix et ses droits fondamentaux confirmés dans les droits de la Nature. Le droit de vivre, d'exister et de couler, de voir ses cycles naturels respectés, d'évoluer naturellement, d'être préservé et protégé, de maintenir sa biodiversité naturelle, de remplir des fonctions essentielles à l'équilibre de la nature, de maintenir son intégrité, d'être protégé de la pollution, de se régénérer et de se restaurer.
Une citation de Extrait de la déclaration

Le texte explique que la rivière Tenàgàdino Zìbì/Gatineau traverse les terres non cédées des membres de la nation autochtone algonquine anishinaabe qui sont les gardiens ancestraux de la rivière depuis des milliers d'années.

Le texte souligne également que cette voie d'eau joue un rôle fondamental dans l'identité, l'histoire, la culture et l'économie de la Première Nation.

La rivière Tenàgàdino Zìbì/Gatineau a été colonisée par le passé. Nous devons travailler ensemble pour intégrer les connaissances, les pratiques et les perspectives autochtones afin de réduire les dommages causés par la colonisation de l'écosystème de la rivière. La rivière ayant sa propre valeur et sa propre raison d'être dans la nature, nous devons veiller à ce qu'elle reste à l'abri des dangers tels que le changement climatique, la perte de biodiversité et les nouveaux polluants qui nuisent à l'environnement.
Une citation de Extrait de la déclaration
Le visage d'une femme, les yeux fermés, avec des cheveux en fleur. L'oeuvre est constituée entièrement de végétation.

Le Cadre mondial pour la biodiversité, signé en décembre 2022 à Montréal à l'issue de la COP15, reconnaît la Terre nourricière comme un sujet de droits. Sur la photo, l'œuvre intitulée « Terre Mère » des Mosaïcultures internationales de Gatineau.

Photo : Mosaïcultures Internationales

L'attribution d'une personnalité juridique à la Terre mère a généré une série de changements et surtout de mobilisations dans le monde.

Et bien qu'elle ne soit pas juridiquement contraignante, c'est-à-dire qu'elle n'a pas de force légale ou autre qui puisse obliger les pays à la respecter, elle a une force politique très forte, estime Yenny Vega Cárdenas.

La force politique, ce sont les groupes de citoyens, les ONG, les peuples autochtones qui peuvent exiger que le gouvernement respecte les engagements qu'il a signés, explique-t-elle.

En Amérique latine, elle a une force politique encore plus importante en raison de ce que l'on appelle le contrôle conventionnel, rappelle l'avocate canado-colombienne.

Les hautes cours latino-américaines utilisent souvent toutes les conventions internationales comme arguments pour interpréter le droit et le faire avancer. C'est un avantage latino-américain.
Une citation de Yenny Vega Cardenas, présidente de l'Observatoire international des droits de la nature

Au Canada, le pouvoir politique est entre les mains des citoyens, conclut Yenny Vega Cárdenas.

Ce reportage est également disponible en espagnol

Une femme regarde la caméra et sourit légèrement.
Paloma Martínez Méndez

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